Les secrets du lift, ou comment récupérer le ballon sur un renvoi
Si vous aimez le rugby et que vous traînez sur les réseaux sociaux, vous avez certainement déjà vu des clips de joueurs se faisant porter par un coéquipier dans le but de rattraper le ballon sur un renvoi.
Quand je jouais, le lift à deux – un sauteur et un lifteur – était mon geste préféré, mais il n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui.
Sur la page Instagram officielle du HSBC SVNS, on retrouve 25 reels de lifts sur les six derniers mois. Ils comptent, au total, 108 millions de vues et 140 000 likes.
Le reel le plus vu montre les Argentins à l’entraînement en train de travailler le lift à deux, au ralenti, avant l’étape de Vancouver. Il compte 46 millions de vue à l’heure où l’on écrit ces lignes.
Mais pourquoi les gens aiment tant ces clips ?
D’une part, parce qu’on ne voit ce geste qu’à 7, du fait du peu de joueurs présents sur le terrain comparé au rugby à XV. C’est un geste qui permet à l’équipe qui reçoit le ballon de prendre de la hauteur pour dominer l’équipe qui vient chasser le receveur.
Les renvois jouent un rôle important en rugby à 7 et c’est l’équipe qui vient de marquer qui le tape. De fait, il faut assurer la récupération pour ne pas encaisser un nouvel essai.
Ce n’est pas un hasard si les équipes qui dominent les renvois sont les mieux classées du circuit HSBC SVNS.
Le lift consiste en une sorte de chorégraphie acrobatique qui repose sur une bonne coordination entre le lifteur et le sauteur, notamment sur le plan du timing, de la prise et de l’équilibre. Pour que le lift soit efficace et sûr, les deux joueurs doivent être forts et adroits.
J’adorais travailler le lift parce que ça ressemblait aux mouvements de musculation que l’on faisait en salle, du genre snatch (arraché) ou clean-and-jerk (épaulé-jeté).
En général, le lifteur se lie préalablement au sauteur en lui prenant le short. Ensemble, ils se mettent en position pour se préparer à recevoir le ballon. Mais, ces derniers temps, on voit de plus en plus de joueurs faire ce geste sans se lier en amont.
Cette évolution est liée aux progrès des botteurs, qui peuvent changer le sens de leur renvoi à leur guise, ce qui facilite le travail des chasseurs. En restant détachés, le sauteur et le lifteur peuvent couvrir davantage de distance plus facilement et efficacement car ils peuvent se mettre en position plus tôt, se lier de nouveau et disputer le ballon.
C’est difficile à maîtriser. Les joueurs ont souvent un lifteur ou un sauteur préféré. Au fil des entraînements, ils apprennent à se connaître et à opérer ensemble.
Aujourd’hui, quand je coache en école, en club ou à l’université, je fais travailler le lift durant quasiment chaque séance.
Pour ce qui est de la viralité du geste sur les réseaux, je pense qu’il y a plusieurs raisons, la première étant le côté fou du saut.
Ayant joué au rugby toute ma vie, je ne trouve rien de fou à regarder une mêlée et une touche, jusqu’à ce que j’échange avec quelqu’un qui n’en avait jamais vu avant. Il suffit d’ouvrir les commentaires pour voir les gens halluciner quand ils voient des gestes propres au rugby.
La deuxième raison semble liée au côté dangereux de la chose. Quand on voit le sauteur passer au-dessus de la tête du lifteur, on s’attend, vu sa position, à ce qu’il bascule et que ça finisse mal. Quand on va au cirque, on ne veut pas voir l’acrobate tomber, mais on ne peut pas s’empêcher de se demander ce qu’ils se passerait s’il lâchait la barre.
Certains des clips les plus viraux sont ceux dans lesquels on voit le sauteur s’arrêter au tout dernier moment, à la limite de la bascule au-dessus du lifteur qui, lui, fait preuve d’une force et d’un gainage impressionnants. Cette confiance entre le sauteur et le porteur est impressionnante.
Je pense également qu’une part de cette viralité réside dans le fait qu’ayant déjà été portés et jetés en l’air par leurs parents quand ils étaient petits, les gens pensent souvent être capables de tenter ce genre de saut à la maison.
Ayant été sauteur et porteur durant ma carrière, je peux vous dire qu’après cette explosion contrôlée qui nous permet de nous propulser, on ressent une très brève sensation d’apesanteur durant laquelle on croise les doigts pour avoir bien jaugé la trajectoire du ballon.
On tente de l’attraper quand il nous passe au-dessus ou qu’il est un peu derrière nous mais, tant qu’on ne l’a pas dans les mains, on ne sait pas si on a vu juste. Il n’y a rien de pire que d’être en l’air et voir le ballon arriver un ou deux mètres derrière nous.
Pour conclure, l’augmentation du nombre de lifts est corrélée à l’augmentation du nombre de renvois. Quand le ballon est en l’air, le public retient son souffle car il voit la cellule du lift se former d’un côté et les adversaires foncer dessus de l’autre. Quand le sauteur attrape le ballon en l’air, la foule rugit. Ce geste est l’incarnation même du haut niveau technique requis pour évoluer au plus haut niveau.
J’ai hâte de voir comment ce geste va évoluer au cours des dix prochaines années. En attendant, branchez-vous sur l’étape de Los Angeles ce week-end pour voir les meilleurs lifts du circuit international.